Le terme « aïkido » a été traduit de nombreuses façons dans l’histoire, y compris par le fondateur lui-même. Dans ce dernier cas, il serait d’ailleurs plus pertinent de parler d’interprétation que de traduction, le nom lui-même étant définitivement fixé depuis 1942.
D’une façon générale, il est extrêmement difficile de traduire un terme provenant d’une culture aussi différente de la nôtre, qui plus est quand l’écriture, idéographique dans ce cas précis, ouvre grand la porte de l’imagination.
Pris individuellement, les trois kanji constituant le terme « aïkido » sont souvent traduits par « harmonie » (aï), « énergie » (ki), et « voie » (do). Il en résulte par exemple des traductions comme « la voie de l’harmonie et de l’énergie » ou « la voie de l’harmonisation / de l’union des énergies ». D’autres, un peu moins littérales (un peu plus mystiques ?), invoquent la voie de « l’unification avec l’énergie de l’univers / de la vie », ou encore celle de « l’esprit harmonieux ». Le point culminant de la non-littéralité est sans doute atteint par John Stevens, qui, en s’appuyant sur les paroles du fondateur, traduit « aïkido » par « l’art de la paix ». Clin d’oeil évident à l’Art de la Guerre de Sun Tzu.
À mon sens (partagé par d’autres !) et bien que le fondateur ait lui-même insisté sur l’importance de la notion d’amour et de paix comme ultime fin, le terme « harmonie » n’est sans doute pas approprié. Mais ceci fera l’objet d’un autre article. Dans celui-ci, je vous propose d’éviter le débat sur le sens global du terme « aïkido », et de nous concentrer plutôt sur l’histoire des trois kanji qui le composent…
合 – Aï
Aï est composé en partie basse de 口 (kuchi) qui signifie bouche ou ouverture. On le retrouve par exemple dans 出口 (deguchi) qui signifie « sortie »: ouverture pour aller dehors. Le radical en partie haute représente l’idée de mettre un couvercle sur une ouverture (par exemple sur un récipient). De là, le sens s’élargi à l’idée de s’adapter, s’accorder, s’emboîter, bien aller ensemble. On comprend alors pourquoi Aï peut finir par représenter l’idée d’harmonie, mais encore une fois, peut-être plus justement d’harmonisation, de concordance, ou d’unification.
Notons enfin que la prononciation « aï » est peu répandue. Celle-ci dérive du verbe « au » (a-ou) qui signifie se rejoindre. Une autre façon de prononcer ce kanji nous est également très familière; il s’agit tout simplement de « a », comme dans 合わせる (awaseru, faire correspondre, s’unir, se synchroniser). Les aïkidoka ont évidemment reconnu ici le fameux principe « awase », tout premier principe à mettre en oeuvre dans un mouvement, et qui consiste à entrer en résonnance avec Aïté, à se fondre dans son attaque afin d’en prendre le contrôle.
氣 – Ki
Ki est composé en partie basse de 米 (kome, riz), qu’il ne faut pas confondre avec le 飯 de ご飯 (gohan, riz cuit). Le radical de la partie haute représente la respiration ou l’air. Placé au dessus du riz, cet idéogramme évoque donc la vapeur brûlante dégagée par la cuisson du riz (aliment fondamental en extrême orient), et devient par conséquent le symbole de l’énergie (vitale), d’une force vive mais aussi impalpable que l’air, puis par extension, du concept d’esprit. De là, sans doute, le sens parfois donné à « aïkido » de voie d’unification des esprits, ou de l’esprit harmonieux.
Ne soyez pas surpris si vous découvrez à l’occasion un caractère légèrement différent de celui-ci pour le « ki » de « aïkido », ou dans d’autres contextes. Cet idéogramme est l’idéogramme traditionnel que l’on retrouve dans la calligraphie. Cependant, sa partie basse (représentant le riz) a été simplifiée dans l’écriture moderne, pour donner au final cette nouvelle variante: 気.
道 – Do
Do est composé, en partie droite, de 首 (shu, le cou). Il semble que le dessin symbolise une tête avec des cheveux. Cette fois encore, les aïkidoka sont familiers, sans peut-être en avoir conscience, d’une prononciation alternative de ce kanji: c’est le « kubi » du fameux kubishime (saisie au col, étranglement). Le radical de gauche (qui s’étend en dessous de 首) représente le chemin. On perçoit beaucoup plus l’idée d’un tracé sinueux dans la calligraphie manuelle. Prononcé « michi », ce kanji représente effectivement une route ou un chemin. Mais le Do représente aussi l’idée d’un cheminement au sens plus abstrait, c’est à dire d’un parcours de vie, d’une quête dans laquelle le voyage lui-même est plus important que la destination. Bref, d’une « voie ».
Mais que vient faire la tête chevelue la dedans ? L’explication historique viendrait de la racine commune avec un autre signe, 導, qui comporte une main soutenant l’ensemble. Ce kanji symbolise une personne à un carrefour, indiquant le chemin à suivre (c’est-à-dire aujourd’hui conduire, guider, diriger). Une fois la main disparue, il n’est resté que le sens de chemin…
Pour terminer, je ne résiste pas à l’envie de vous faire part d’une autre histoire, assez farfelue, mais que j’ai souvent entendue, sur la composition du kanji 道. Dans l’ancienne Chine, les voyageurs se protégeaient des mauvais esprits sur les sentiers mal famés en emportant avec eux des… têtes coupées. Autrement dit, 首 ne représente pas une tête chevelue mais une main portant une tête ! Cette interprétation ne relève très certainement que d’un folklore destiné à faire peur aux petits enfants, mais après tout, c’est ça la magie des kanji !
Au final, qu’est-ce que l’Aïkido ? Unir les énergies ? Harmoniser les esprits ? Cultiver la paix ? D’une certaine façon c’est à vous de choisir car, selon les propres mots de O Senseï: « Chaque individu doit comprendre l’Aïkido d’une manière qui lui est personnelle. ».
Note: cet article est également publié sur le site du dojo Aïkido Vallée de Chevreuse.
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